L’année 2013 a été marquante pour la Turquie. Le mouvement Gezi est suivi par un tournant autoritaire sous le régime du Parti de la justice et du développement (AKP). L’espace public soumis à un contrôle étatique, toute possibilité d’opposition est criminalisée et le passage au régime hyper-présidentiel est l’un des marqueurs d’un pouvoir politique personnalisé. On qualifie un contexte d’autoritaire lorsque celui-ci ne permet pas le va-et-vient constant entre la politique et le politique. La politique comprend la vie civique d’une société et relève du domaine de la loi. C’est un espace de la prise du pouvoir, de l’exercice du pouvoir de manière verticale. Tandis que le politique se définit par l’organisation d’un tout autre monde afin de parler de ce qui ne se permet pas d’être exprimé dans la politique. Dans le politique on parle non pas de la vie civique mais de la vie publique. Chaque personne par sa participation-même y tient un rôle politique. En effet c’est le rapport entre les personnes, les normes sociales, les mœurs qui sont en train de se réorganiser, de se négocier dans l’espace du politique. Le changement de focale vers l’espace du politique suppose que les citoyens ordinaires sont des praticiens du politique et que l’expression de leurs revendications dans l’espace public représente des formes d’action politique à part entière. Cette approche micro s’avère encore plus pertinente pour l’analyse d’actions de nature politique dans le contexte autoritaire car, puisque les formes d’action traditionnelles deviennent difficilement envisageables, c’est la reconfiguration des normes sociales dans l’espace du politique qui porte davantage le potentiel de transformer la société par le bas. Dans le cadre du Congrès l’AFSP, notre communication s’inscrit au sein du premier axe "Voice ou stratégies et formes de résistance en contexte autoritaire" et portera sur la présentation des résultats de deux recherches doctorales empiriques sur les théâtres alternatifs et les collectifs autonomes de nature politique dans l’après du mouvement Gezi. Au lieu d’examiner la politique du pourquoi où les actions sont déterminées par et pour l’exercice du pouvoir, nous nous attacherons à montrer la politique du comment. A partir de ces deux recherches doctorales, nous faisons l’hypothèse que l’ingénierie sociale de l’AKP se trouve concurrencée par des pratiques politiques autonomes de citoyens qui amorcent un changement social par le bas. Autrement dit il s’agira de montrer en quoi la multiplication des zones autonomes transforme le tissu social et, par conséquent, le rapport à la politique. Il ressort de ces recherches que lorsque l’accès à la politique est bloqué par le pouvoir institutionnel et que l’espace de la rue, criminalisé, cesse d’être un espace civique de démonstration politique, ce sont les pratiques de la vie publique, comme par exemple faire du vélo, revendiquer le droit d’avoir un temps de loisir ou de faire du théâtre, qui acquièrent une nature proprement politique. Dans le contexte de l’après Gezi, ces pratiques créent à leur tour des espaces de socialisation où naissent et se négocient des normes sociales qui se situent en dehors du projet socio-politique de l’AKP.